La requisition de logements vides, le cas de Barcelona

 

 

En Espagne, les banques possèdent plus de 80 % des logements vides. À la suite de l’explosion de la bulle immobilière, des milliers de ménages n’ont pas pu rembourser leur prêt lié à l’achat de leur logement. Après avoir expulsé les personnes vivant dans ces logements, les banques en sont devenues propriétaires. Aujourd’hui, des milliers de logements leur appartiennent.

 

 

 

LA SAREB ES NUESTRA : la campagne de réquisition des logements vides de la SAREB par Obra Social, commission de la PAH

 

Obra Social est la branche la plus radicale de la Plateforme des victimes de crédits hypothécaires (PAH). Elle vise à récupérer les logements vides détenues par des banques. Il ne s’agit pas de squat mais de récupération.

 

A la suite de la crise de 2007, plusieurs millions d’euros du gouvernement espagnol sont venus renflouer les banques via un sauvetage financier. Dès lors, l’Obra Social de la PAH considère que cet argent public, issu des impôts locaux, a largement contribué au paiement des logements récupérés par les banques et qui relèvent en quelque sorte, désormais, de l’espace public et reviennent aux habitantEs les plus démunis.

 

Lancée en octobre 2015, la campagne La Sareb es nuestra (à traduire par « la SAREB est à nous ») a dévoilé une carte du pays où plus de 30 000 logements de la SAREB ont été géo-localisés. Vides, ils sont prêts à être occupés. Au moment où cette action a été lancée, 18 édifices de cette banque étaient déjà récupérés.

 

L’objectif visé est d’appeler à la récupération de tous les logements vides. Une fois occupés, l’Obra Social de la PAH soutient l’occupant dans des négociations avec la banque pour que ce logement se transforme en logement social. Sur 40 édifices réquisitionnés (dont 18 appartenant à la SAREB), deux d’entre eux sont devenus des immeubles de logements sociaux (soit 57 appartements !).

 

 

 

Ada Colau oblige la SAREB à céder 200 appartements à la mairie barcelonaise

 

 

La Ley 24/2015 introduit la « cession obligatoire des logements vides pour une période de trois ans ». La mairie barcelonaise a utilisé ce droit pour renflouer son parc public déficitaire. En décembre, la SAREB a cédé 200 appartements à la ville de Barcelone. En mars, 50 appartements de plus sont cédés par la Caixa (importante banque espagnole).

 

La rue, de son côté, continue de s’organiser pour faire face aux urgences. Fin février 2016, la PAH d’Urgell a récupéré un nouvel immeuble de la SAREB. Cinq familles sans aucunes autres alternatives habitationnelles y logent actuellement.

 

Source / captude vidéo
Source / capture d’image vidéo

 

La réquisition de logements vides démontre la possibilité d’agir de façon innovante radicale et efficace sur la qualité de vie de personnes qui se trouvent en situation d’exclusion. En mobilisant des logements destinés à être réinsérés sur le marché spéculatif de l’habité, des organisations militantes et des citoyenNEs agissent concrètement pour améliorer les conditions matérielles de personnes en situation de pauvreté ou d’exclusion. Certes, les banques condamnent ce type de revendications et d’actions, mais elles doivent bien admettre que leur survie a transité par une forme de « providentialisme de marché » (corporate welfare) et qu’en juste retour elles doivent au moins faire preuve de solidarité à l’égard des personnes les plus fragilisées.

> Edito rédigé le 7 mars dans le blog IUPE de Montréal

La PAH : un mouvement espagnol en lutte pour le Droit au Logement

Depuis 2007, en Espagne, environ 650 000 familles ont perdu leur logement en raison d’un prêt hypothécaire impossible à rembourser ou de loyers non-payés. Lorsque la bulle immobilière a explosé, plusieurs milliers de personnes se sont retrouvées en situation de détresse totale. « Plateforme des AffectéEs par l’Hypothèque », (PAH) est une réponse citoyenne organisée dès 2009 pour lutter contre les injustices engendrées par la crise du logement.

Un mouvement citoyen organisé

PAH est un mouvement de base qui rassemble plusieurs milliers de personnes. Aujourd’hui, plus de 230 plateformes sont organisées en Espagne, dont 70 en Catalogne. Au-delà du travail local réalisé par chaque PAH, ces dernières œuvrent à différentes échelles et en réseau. Un objectif commun des PAH est de changer la jurisprudence. C’est dans ce but qu’elles ont lancé une Initiative Législative Populaire (ILP) à l’échelle nationale. L’ILP est un outil démocratique inscrit dans la Constitution Espagnole de 1978.

Stop
Photo: Coline Rande

La procédure pour une ILP est la suivante. Lorsqu’une Loi est soumise au Congrès, si ce dernier la valide, elle est proposée au vote au Parlement. Pour ce faire, elle doit être soutenue par un minimum de 500 000 signatures au niveau national, ou encore, de 50 000 signatures au niveau de la Catalogne.

Avec d’autres partenaires de lutte, le mouvement PAH a proposé un texte de Loi sur les hypothèques, contre les expulsions et pour la création d’un parc locatif social. Pendant dix mois, des actions de mobilisation ont pris place dans la rue. Un million et demi de signatures a été recueilli en appui à la mise en place d’une ILP. Malgré cet appui, la démarche ILP a été détournée par l’État de l’objectif initial visé par le mouvement PAH.

Loi
Photo: Coline Rande
Une nouvelle proposition a été lancée à l’échelle de la Catalogne. Le 29 juillet 2015, tous les partis du Parlement de la Generalitat de Catalunya ont approuvé le lancement d’une ILP. Le 5 août 2015, une nouvelle Loi est entrée en vigueur, l’ILP 24/2015. Il s’agit d’une des plus grandes victoires du mouvement. La PAH, mouvement de base, a réussi à changer la Loi ! Par cette dernière, plusieurs contraintes sont données aux banques et imposées aux pouvoirs publics.

Peut-on voir en cette victoire une première avancée de la « mouvance espagnole des communs » ?

 

> Edito publié le 19 janvier pour le blog IUPE de Montréal.

La PAH en scène au Palau de la Música à Barcelona

Mardi soir, c’est la réunion de coordination. A un moment, Juanjo prend la parole pour parler de ce chanteur espagnol Nacho Vegas qui a écrit « Cancion para la PAH ». Il sera dans deux jours en concert avec ses choristes et musiciens au Palais de la Musique, un magnifique lieu culturel de Barcelone. Lors de la chanson destinée à la PAH, il invite plusieurs militant-e-s à monter sur scène. Je fais partie des volontaires.

 

Jeudi.

19h, nous nous retrouvons autour d’une bière avant de rejoindre Nacho et son équipe. Entre Aida, Monica, Aura, Juanjo, Ainoha, Bego, Ernest, Toni et moi-même l’excitation grimpe, le stress avec.

 

19h40, nous rentrons par l’entrée des artistes et nous sommes guidés dans les loges des choristes pour nous préparer.
Rapidement, on se retrouve sur scène à assister aux dernières balances de l’orchestre. Je suis impressionnée par le Palais de la Musique, des statues qui jaillissent des murs, des piliers couverts de mosaïques colorées, des vitraux tous plus flamboyants les uns que les autres, ces vieux fauteuils rouges type théâtre.

 

20h, Nacho fait la bise à Aida. Rapidement on organise le déroulé. L’entrée du choeur, des musiciens, puis de Nacho. Là, une vidéo est projetée. « Conversaciones sobre el futuro » est une parodie de la Banque Sabadell jouée par Nacho lui-même. Ensuite, démarre la chanson pour la PAH. Quelques secondes après le début, nous rentrerons sur scène. Cinq banderoles sont préparées pour l’occasion, il s’agit des 5 exigences de la PAH.

 

21h00, alors que le concert devrait débuter, l’équipe du Palais de la Musique ne laisse pas entrer les spectateurs dans la salle. Dans les coulisses, la tension est à son comble. Le concert de ce soir a lieu dans le cadre du Festival Millenni. Ce dernier est financé par la Banque Sabadell. Son directeur refuse que la vidéo soit projetée. « Si la vidéo est projetée, il n’y a pas de concert », ce à quoi Nacho répond "S'il n'y a pas de vidéo, il n'y a pas de concert".

 

21h25, les choristes chantent la chanson de la PAH dans les coulisses, ils la terminent en criant « Si se puede ». Le moment est très touchant et fort. La rébellion gronde. Malgré la menace d'annulation, l'orchestre ne recule pas.

 

21h30, le concert aura lieu, la vidéo sera diffusée. Nacho vient à notre rencontre dans les coulisses. Il nous explique plus en détails les conséquences de cette soirée. La banque Sabadell est un financeur de nombreux festivals auxquels Nacho n’aura sûrement plus accès.

 

21h45, les premiers accords de la chanson pour la PAH démarre, la salle applaudit très fort. Quand les premiers militant-e-s rentrent sur scène, les acclamations augmentent. La chanson durera 1min40. Nous serons sur scène tout ce temps là à brandir les cinq exigences de la PAH. Les applaudissements sont nourris. Les « Si se puede » fusent de bon coeur. J’ai les larmes aux yeux et le coeur qui palpite.

 

Une fois sortis de scène, nous nous serrons très forts les uns les autres, nous nous embrassons. Quelle émotion.
Cette soirée marque un nouveau tournant pour la PAH mais aussi pour moi. Elle restera bien au chaud dans ma boîte à plus beaux souvenirs.
Nacho et nous.
Nacho et nous.
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Pressions de la rue, quand la PAH s’organise en vue des élections générales espagnoles.

Les élections législatives du 20 décembre ont intensifié le calendrier d’actions de la PAH.

Lors de la période pré-élections, pendant 15 jours, la PAH s’est mobilisée quasiment tous les jours. Il y avait plusieurs types d’actions.

Des actions d’informations dans la rue à Neu Barris par exemple. Les militant-e-s de la PAH se déplacent pour informer la population des cinq exigences de la PAH, du positionnement des partis politiques par rapport à ces exigences. En octobre, des militant-e-s de la PAH avaient rencontré les différents partis politiques en candidature afin de discuter des revendications de la PAH et de leur positionnement politique vis-à-vis d’elles. La PAH a été dans la rue informer les gens sur le sort réservé aux cinq exigences de la PAH en fonction des partis.

 

Les cinq exigences de la PAH sont :

  • Dotation en paiement rétroactive
  • Logement locatif accessible
  • Stop aux expulsions
  • Logement social
  • Eau, gaz et électricité garantis

Il s’agit là des cinq revendications de la PAH pour qu’un logement digne soit donné à chacun.

 

Ciudadanos, PSOE et PP les refusent ou ne les acceptent que partiellement.
Podemos les accepte toutes.

 

Le 15 décembre, la PAH s’est rendue aux sièges des partis politiques du PP, PSOE et Ciudadanos. Chaque siège a été attaqué par des autocollants « Las 5 de la PAH », des tracts explicatifs étaient donnés aux passant-e-s, laissés dans la rue. Un 5 géant avait été confectionné par les militant-e-s pour l’occasion. Les cinq héroïnes de la PAH, chacune représentant une exigence, essayaient ensemble de faire rentrer le grand 5 par la porte principale du parti. Des slogans étaient criés « Dicen que no caben, lo vamos a meter », traduit par « Ils disent qu’ils n’y tiennent pas, nous allons les mettre ». Carlos, le porte-parole de la PAH a fait un discours. Plusieurs médias étaient là pour l’événement.

 

D’autres actions ont eu lieu comme l’escrache. L’escrache est une action controversée qui a rendu célèbre la PAH. Il s’agit d’une action issue d’Argentine utilisée pour dénoncer les actes de certaines personnes lors de la dictature.
L’escrache consiste à se rendre sur un lieu pratiqué dans le quotidien, par exemple : ta maison, la boulangerie où tu vas acheter ton pain, l’hôtel où tu dors si tu es en déplacement, ta salle de sport, etc. L’escrache, c’est une façon de dire que tes décisions prises en tant que personnage politique ne concerne pas que ton emploi du temps politique mais t’engagent aussi en tant qu’être individuel, personnel. De ce fait, tes agissements peuvent être dénoncés en tous lieux.
En vue du 20D, plusieurs escraches ont eu lieu le 18 décembre. Certains candidats politiques sont venus en meeting à Barcelone. La PAH s’est déplacée devant leur hôtel pour scander les cinq exigences de la PAH et dénoncer leur position politique vis-à-vis de ces dernières.

 

 La veille des élections, le 19 décembre, c’était une journée de pause politique, de réflexion. La PAH n’est pas sortie dans la rue, mais a alors publié sur internet (twitter, site de la PAH, facebook) plusieurs dizaines de photos de militant-e-s posant main tendue avec écrit à l’intérieur de la paume : PAH. Selfies de soutien des cinq exigences de la PAH.

 

 Le 20 décembre au soir, les résultats des élections sont annoncés. Le bipartisme est définitivement révolu en Espagne. Trois forces politiques se dessinent : PP, PSOE et Podemos.

 

Aujourd’hui, 13 janvier 2015, le Parlement tient sa première session. Aucun parti n’a la majorité absolue. Quelles sont les alliances, les coalitions possibles?

 

Malgré le climat politique inconnu, la PAH, elle sait où elle va. Hier, elle publiait une lettre à l’attention des Député-e-s pour continuer à maintenir la pression.

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Spéculation immobilière et réactions civiles pour le droit au logement en Espagne

« Les causes de la situation économique actuelle sont les suivantes. Tout d’abord un déficit public abyssal. (…) Ensuite, le manque de compétitivité de l’économie espagnole qui nous oblige à mettre en œuvre des politiques structurelles. (…) Troisième problème, un système financier fortement endetté (…) »

 

Extrait d’un discours de Mariano Rajoy, président du gouvernement espagnol.

 

La dette financière espagnole d’origine privée à 83% !

Durant les années 1990/2000, le tourisme et les BTP sont les deux secteurs économiques les plus importants de l’Espagne. Des grands projets inutiles sont réalisés entrainant des gaspillages financiers astronomiques comme cet aéroport, proche de Madrid, dont la construction a coûté 1 milliard d’euro. Quelques années plus tard, il est vendu aux enchères à 100 millions d’euros.

 

A cela s’ajoute la construction massive de logements. En 2007, l’Espagne construit autant de logements que l’Allemagne, la France et l’Angleterre réunis ! Leur construction et leur vente alimentent la spéculation. Les logements sont devenus un véritable outil financier. La bulle immobilière permet, pendant plus d’une dizaine d’années, au capitalisme de croître.

 

Lors de l’éclatement de la bulle immobilière en 2008, les épargnes sont mises en cause pour leurs dépenses inutiles. Fusionnées dans un premier temps, elles sont converties en banques privées afin de pouvoir rentrer en bourse. Bankia devient le « grand exemple du redémarrage de l’industrie bancaire espagnole ». A la suite du crack, la banque perd des milliards d’euros. Elle demande à l’Etat de venir la renflouer. Ce sauvetage public s’élève à 27 milliards d’euros. Lors de l’effondrement de l’IBEX au CAC40. Le gouvernement espagnol demande un plan de sauvetage bancaire à l’Euro-groupe. Ce dernier lui accorde un crédit de 100 milliards d’euros.

 

La dette publique à rembourser est dans les faits une dette privée à hauteur de 83% ! La population se retrouve à subir et assumer une situation dont elle n’est pas responsable. Tandis que les banques et épargnes sont aidées par l’Etat et l’Union Européenne ; des familles entières sont expulsées, délaissées. Plusieurs manifestations éclatent devant Bankia avec comme slogan « Sauvons les personnes, expulsons les banquiers. »

 

« Yo no me voy » 

 Le marché locatif, en Espagne, est un des plus faibles de l’Union Européenne. Il passe à peine la barre des 10%. Seule l’accession à la propriété permet aux habitant-e-s de se loger. Au-delà de la surévaluation financière du prix des logements, les banques ont vendu des crédits hypothécaires à tout va pour alimenter le marché spéculatif immobilier. Elles ont accordé des prêts à des ménages fragiles financièrement sans vérification quant à leur situation. Même les personnes en situation financière stable se sont retrouvées piéger par des taux d’intérêts variables.

 

Quand la crise immobilière éclate, des milliers d’Espagnols se retrouvent en incapacité de rembourser leur prêt. Les banques expulsent et hypothèquent. Ces expulsions liées à des procédures judicaires pour crédits impayés entrainent le suicide de plusieurs personnes dans le pays. Près de 500 000 personnes ont été expulsées de leur logement depuis 2007. Au-delà de perdre son logement, la banque réclame une dette car elle récupère le logement pour 60% de sa valeur qu’elle-même avait fixé. A cela s’ajoutent les intérêts de retard et les frais judiciaires.

 

En réponse à cette situation désastreuse pour toutes les catégories sociales, la Plataforma de Afectados por la Hipoteca (PAH) s’organise. Mouvement de lutte de masse, elles sont plus de 180 en Espagne aujourd’hui. Cette association regroupe des propriétaires concernés pas l’hypothèque. Par différentes actions, la PAH agit localement mais aussi à travers l’Espagne grâce à la coalition de la PAH. Elle appelle à la désobéissance civile et évite les expulsions en se rendant sur les lieux en masse. Elle engage des renégociations avec la banque pour la donation en paiement de dette mais aussi la mise en place de logements sociaux.

 


Documentaire : « Sieste Dias en PAH Barcelona »

Organisation de la PAH au quotidien. Focus sur la PAH Barcelone

 

L’Espagne n’est pas le seul pays concerné par cette crise du logement. Pour cette raison, la PAH entre en résonnance avec d’autres mouvements de lutte au sein de la Coalition européenne d’action de droit au logement et à la ville. Dans ce cadre-ci, elle est en réseau avec le DAL, l’association de Droit au Logement qui lutte contre les expulsions en France. Organisé depuis 20 ans, le DAL est un syndicat de mal-logés et sans-logis. Par des campements, réquisitions, mouvements anti-expulsions le DAL exige l’application du droit au logement sur le territoire français.

Il est signifiant de se rendre compte que chaque pays a des luttes communes et intéressant de chercher en quoi les unes et les autres pourraient se nourrir.

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